24 avril 2019 par Eric Toussaint , Patrick Bond
Soulèvement anti-apartheid dans les années 1980 en Afrique du Sud (CC - Wikipedia)
La Banque mondiale et le FMI ont été complices de l’apartheid pendant des décennies, elles ont enfreint l’embargo décrété par les Nations unies contre le régime raciste au pouvoir en Afrique du Sud.
Entre 1951 et 1968, les prêts de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies. En 2011, 187 pays en étaient membres.
Créée en 1944 à Bretton Woods dans le cadre du nouveau système monétaire international, la Banque possède un capital apporté par les pays membres et surtout emprunte sur les marchés internationaux de capitaux. La Banque finance des projets sectoriels, publics ou privés, à destination des pays du Tiers Monde et de l’ex-bloc soviétique. Elle se compose des cinq filiales suivantes :
La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD, 189 membres en 2017) octroie des prêts concernant de grands secteurs d’activité (agriculture et énergie), essentiellement aux pays à revenus intermédiaires.
L’Association internationale pour le développement (AID, ou IDA selon son appellation anglophone, 164 membres en 2003) s’est spécialisée dans l’octroi à très long terme (35 à 40 ans, dont 10 de grâce) de prêts à taux d’intérêt nuls ou très faibles à destination des pays les moins avancés (PMA).
La Société financière internationale (SFI) est la filiale de la Banque qui a en charge le financement d’entreprises ou d’institutions privées du Tiers Monde.
Enfin, le Centre international de règlements des différends relatifs aux investissements (CIRDI) gère les conflits d’intérêts tandis que l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) cherche à favoriser l’investissement dans les PED. Avec l’accroissement de l’endettement, la Banque mondiale a, en accord avec le FMI, développé ses interventions dans une perspective macro-économique. Ainsi la Banque impose-t-elle de plus en plus la mise en place de politiques d’ajustement destinées à équilibrer la balance des paiements des pays lourdement endettés. La Banque ne se prive pas de « conseiller » les pays soumis à la thérapeutique du FMI sur la meilleure façon de réduire les déficits budgétaires, de mobiliser l’épargne interne, d’inciter les investisseurs étrangers à s’installer sur place, de libéraliser les changes et les prix. Enfin, la Banque participe financièrement à ces programmes en accordant aux pays qui suivent cette politique, des prêts d’ajustement structurel depuis 1982.
TYPES DE PRÊTS ACCORDÉS PAR LA BM :
1) Les prêts-projets : prêts classiques pour des centrales thermiques, le secteur pétrolier, les industries forestières, les projets agricoles, barrages, routes, distribution et assainissement de l’eau, etc.
2) Les prêts d’ajustement sectoriel qui s’adressent à un secteur entier d’une économie nationale : énergie, agriculture, industrie, etc.
3) Les prêts à des institutions qui servent à orienter les politiques de certaines institutions vers le commerce extérieur et à ouvrir la voie aux transnationales. Ils financent aussi la privatisation des services publics.
4) Les prêts d’ajustement structurel, censés atténuer la crise de la dette, qui favorisent invariablement une politique néo-libérale.
5) Les prêts pour lutter contre la pauvreté.
Site :
ont permis de financer des projets « pro-Blancs » : une centrale électrique à charbon (Eskom) qui fournissait de l’électricité uniquement aux blancs, et une partie du réseau ferroviaire (South African railways/harbours), auquel les Noirs n’avaient accès que s’ils pouvaient prouver qu’ils avaient un emploi dans la ville reliée par le réseau (il leur fallait produire une autorisation de circuler).
En 1965, la Banque a directement défié une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée en 1964 recommandant à toutes les agences affiliées aux Nations unies – y compris la Banque mondiale – de cesser leur soutien financier au régime d’apartheid de l’Afrique du Sud car celui-ci violait la charte de l’ONU. La Banque argumenta que son article IV l’obligeait légalement à ne pas suivre les résolutions de l’ONU. Même un plaidoyer personnel du Secrétaire général des Nations unies, U Thant, auprès de George Woods, président à l’époque de la Banque mondiale, fut sans effet.
Tableau : Le régime de l’Apartheid d’Afrique du Sud et ses relations avec la Banque mondiale et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 188 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(IFI’s – Institutions financières internationales)
Le refus de la Banque mondiale et du FMI de se conformer aux demandes de l’ONU en ce qui concerne le Portugal et l’Afrique du Sud
A partir de 1961, alors que la plupart des pays coloniaux ont obtenu leur indépendance et sont devenus membres de l’ONU, l’Assemblée générale adopte à plusieurs reprises des résolutions de condamnation du régime de l’apartheid en Afrique du Sud ainsi que de celui du Portugal qui maintient son joug sur plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. En 1965, devant la poursuite du soutien financier et technique de la Banque et du FMI à ces régimes, l’ONU demande formellement « à toutes les agences spécialisées des Nations Unies et en particulier la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et le Fonds monétaire international […] de s’abstenir d’octroyer au Portugal toute aide financière, économique ou technique tant que le gouvernement portugais n’aurait pas renoncé à sa politique coloniale qui constitue une violation flagrante des dispositions de la Charte des Nations unies » [1]. Elle fait de même en ce qui concerne l’Afrique du Sud.
La direction de la Banque mondiale se réunit pour prendre position et une majorité des directeurs exécutifs décide de poursuivre les prêts. Justification avancée : l’article 4, section 10 de ses statuts [2] lui interdit de faire de la politique ! Tous les pays les plus industrialisés, appuyés par un certain nombre de pays latino-américains, votent en faveur de la poursuite des prêts. En 1966, la Banque approuve un prêt de 10 millions de dollars pour le Portugal et de 20 millions pour l’Afrique du Sud. Par la suite, sous une pression redoublée, la Banque n’accorde plus de nouveaux prêts. Néanmoins une structure des Nations unies, le Comité de décolonisation (Decolonization Committee), continuera de dénoncer pendant plus de 15 ans le fait que la Banque mondiale permette à l’Afrique du Sud et au Portugal de se porter candidats pour obtenir des financements de la Banque pour des projets dans d’autres pays. De plus, la Banque courtise l’Afrique du Sud pour que celle-ci fasse des dons à l’AID [3].
Le FMI, malgré les condamnations et les campagnes pour des sanctions financières, prêta au régime de l’apartheid 2 milliards de dollars pendant la décennie 1970.
Ce n’est que suite à l’interdiction par le Congrès étatsunien de financer l’Afrique du Sud que le FMI changea sa politique. Pourtant, loin des revendications des mouvements de masse, le FMI envoya chaque année, à partir de 1980, une équipe de conseillers pour aider le gouvernement sud-africain à appliquer des réformes néolibérales.
Conclusion : On peut affirmer sans risque d’exagération que, malgré la claire opposition de l’opinion internationale au régime de l’Apartheid, le FMI et la Banque mondiale ont été les complices du régime raciste et répressif en Afrique du Sud, en le soutenant financièrement et stratégiquement.
[1] UN Doc. A/AC.109/124 and Corr. 1 (June 10, 1965).
[2] L’art. IV section 10 stipule : “La Banque et ses responsables n’interféreront pas dans les affaires politiques d’un quelconque membre et il leur est interdit de se laisser influencer dans leurs décisions par le caractère politique du membre ou des membres concernés. Seules des considérations économiques peuvent influer sur leurs décisions et ces considérations seront soupesées sans parti pris, en vue d’atteindre les objectifs (fixés par la Banque) stipulés dans l’art. I ”.
[3] KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1, p. 692
docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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enseigne à la Witwatersrand University School of Governance à Johannesburg. Il est également directeur du Centre for Civil Society à l’Université KwaZulu-Natal à Durban. Son dernier ouvrage (avec Ana Garcia) s’intitule BRICS, An Anti-Capitalist Critique.
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